Ce mardi 8 octobre 2019 a marqué une étape historique de la lutte pour les droits intersexes en France.
Il a permis de mettre à jour le rapport de force actuel entre d’une part les défenseur·ses des droits humains, qui s’appuyaient sur les multiples textes, résolutions et rapports publiés ces derniers années, en France comme à l’international, établissant les actes médicaux sur les caractéristiques sexuelles non consentis et ne correspondant pas à une urgence vitale comme des mutilations; d’autre part le lobby médical, arc-bouté sur sa conception pathologique de tout écart de la norme, représenté à l’Assemblée par sa Ministre et les député·e·s de la majorité au garde-à-vous derrière elle.
Si ce rapport de force n’est aujourd’hui pas encore suffisamment en notre faveur pour avoir permis l’interdiction pure et simple des mutilations intersexes – rejetée à 89 contre, 19 pour, dans un scrutin public que nous prendrons soin de regarder de près – il a tout de même permis d’offrir de nouvelles prises pour la suite de notre combat.
Les débats
D’abord, nous pouvons nous réjouir d’avoir su imposer le sujet comme légitime et important : plus de deux heures de débats et des dizaines d’amendements et de sous-amendements, c’est une première. Ces débats ont permis d’exposer les arguments des un·e·s et des autres, y compris les enjeux que chacun·e y met.
Sans surprise, nous avons retrouvé ceux qui paniquent à l’idée que notre seule existence et le respect de nos droits remettraient en cause leur conception binaire du sexe et qui brandissent à tort et à travers la psychanalyse et les droits des parents, dans une ambiance Manif pour Tous nauséabonde et d’actualité.
Nous avons aussi, encore, entendu les arguments éculés sur le risque de cancérisation des gonades, et ce alors que les chiffres des études les plus récentes montrent que le risque de cancer pré-pubertaire est quasiment inexistant, et que les inconvénients d’une gonadectomie précoce sont bien plus lourds que ce soit en termes d’apport naturel d’hormones ou de stérilisation forcée. Nous attendons la proposition de la Ministre de la Santé de retirer tous les cols de l’utérus à la naissance au cas où un cancer pourrait s’y développer; mieux, il faudrait sans doute procéder à une mammectomie de toutes les jeunes filles, le cancer du sein étant un risque sérieux à ne pas prendre à la légère, et dont le taux est plus élevé que les cancers de gonades évoqués dans l’hémicycle.
Nous avons bien sûr retrouvé les arguments sur la “fonctionnalité” dont on ne sait pas très bien ce qu’ils recoupent, la fonctionnalité vitale étant naturellement couverte par le critère d’urgence vitale – typiquement, l’ouverture de l’urètre. Il s’agit bien plus probablement d’une “fonctionnalité” sociale, uriner debout ou recevoir un pénis, des fonctions qui ne relèvent absolument pas de l’urgence et qu’il est complètement possible de proposer ultérieurement, à l’âge où la personne peut faire un choix mature et éclairé. Les expériences trans prouvent que ces fonctionnalités peuvent être offertes bien plus tard dans la vie. Au contraire, les actes précoces viennent créer des risques de complications et de traumas qui ne sauraient être assimilés à du soin.
Et bien heureusement, nous nous sommes réjoui·e·s d’entendre les arguments étayés, sourcés, chiffrés, avancés par celles et ceux qui défendaient nos droits. Nous les remercions chaleureusement de leur engagement et nous tenons de nouveau à leur disposition pour continuer à avancer sur ce sujet.
L’amendement adopté
Au-delà des débats, il faut maintenant évoquer l’amendement qui a été adopté, et dire ce que nous en pensons. Si nous avons essayé de toutes nos forces d’obtenir une protection immédiate des enfants intersexes contre les actes mutilants, nous saurons utiliser les mesures votées comme marchepied pour continuer à faire avancer nos droits.
Tout d’abord, sur l’orientation systématique vers les centres de référence. Nous rappelons que les centres de référence mutilent, et que cette orientation systématique n’est absolument pas une protection pour les enfants intersexes. Cependant, cette réduction du nombre de sites dans lesquels sont orienté·e·s les enfants intersexes nous permettra de mettre en place une meilleure surveillance des pratiques – il est plus facile de surveiller 4 centres que des centaines de sites hospitaliers. Il nous permettra aussi, si les équipes médicales sont d’aussi bonne volonté qu’elles le prétendent, de toucher plus facilement les familles et les personnes concernées, en nous rendant dans ces centres, en leur fournissant notre documentation, en espérant garantir ainsi une information équilibrée et rompre leur isolement.
Ensuite sur le rapport à publier sous un an, nous nous réjouissons que les pratiques actuelles en France fassent enfin l’objet d’une enquête. Nous serons vigilant·e·s sur deux points : d’une part l’accès aux chiffres des centres de référence, de façon précise c’est-à-dire les actes, les variations concernées, l’âge des personnes, car nous avons déjà accès à des données de santé qui prouvent la poursuite par exemple de vaginoplasties sur enfants de moins d’un an ; d’autre part l’usage qui sera fait de ce rapport. Il doit selon nous aboutir à un recadrage ferme de ces pratiques, interdire clairement et fermement les actes de conformation sexuée, établir leur déremboursement, et permettre une fois pour toutes de réviser les protocoles et la composition de ces équipes pluridisciplinaires qui s’autorégulent autour d’une idéologie pathologisante solide. Nous nous investirons fermement dans le travail autour de ce rapport afin qu’il puisse être un outil utile pour faire valoir les droits des personnes concernées.
Enfin, sur la prise en compte du consentement de la personne mineure si elle est apte à l’exprimer et à participer à la décision, nous ne nous faisons guère d’illusions sur qui évaluera cette capacité, et sur le maintien des pressions sur les parents pour la réalisation d’actes de conformation précoce – justement avant que l’enfant puisse les refuser. Il nous semble donc essentiel de continuer le travail amorcé d’information des familles et en premier lieu des parents et tuteur·trices légaux des enfants intersexes.
Au-delà du vote
Outre ce vote, nous faisons aujourd’hui le constat que le corps médical cherche encore et toujours à se soustraire au droit commun en avançant des arguments non étayés scientifiquement pour procéder à des mutilations sur les enfants présentant des variations du développement sexuel. Le dépôt de plaintes au pénal et les poursuites en justice nous semblent donc une voie inévitable pour que les mutilateurs renoncent à leurs pratiques. Nous pouvons compter sur l’aide des avocat·e·s et juristes de l’association AlterCorpus et nous en profiterons sans hésiter.
Nous remercions l’ensemble des personnes qui nous ont soutenu dans ce premier acte de notre campagne pour l’arrêt des mutilations intersexes. Le combat continue : nous serons dans la rue le samedi 19 octobre pour l’ExisTransInter, et de nouveau le 8 novembre pour la Journée Internationale de Solidarité Intersexe. N’hésitez pas à nous y rejoindre.
L’amendement adopté :
I. – Après le chapitre Ier du titre III du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, il est inséré un chapitre I bis ainsi rédigé :
« Chapitre I bis
« Enfants présentant une variation du développement génital
« Art. L. 2131-6. – La prise en charge d’un enfant présentant une variation du développement génital est assurée après concertation des équipes pluridisciplinaires spécialisées des centres de référence des maladies rares du développement génital, dans les conditions prévues à l’article L. 1151-1. Cette concertation établit le diagnostic ainsi que les propositions thérapeutiques possibles, y compris d’abstention thérapeutique, et leurs conséquences prévisibles. L’équipe du centre de référence chargée de la prise en charge de l’enfant assure une information complète et un accompagnement psycho-social approprié de l’enfant et de sa famille.
« Lors de l’annonce du diagnostic, le médecin informe les parents de l’enfant de l’existence d’associations spécialisées dans l’accompagnement des personnes présentant une variation du développement génital.
« Le consentement du mineur doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. »
II. – Dans un délai de douze mois à compter de la publication de l’arrêté mentionné à l’article L. 2131-6 du code de la santé publique, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l’activité et au fonctionnement des centres de référence des maladies rares du développement génital concernant la prise en charge des personnes présentant des variations du développement génital en France. Ce rapport s’accompagne d’éléments chiffrés quant au nombre de personnes concernées chaque année. Il peut faire l’objet d’un débat dans les conditions prévues par les règlements des assemblées parlementaires.
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