Une première avancée pour l’Allemagne qui adopte une loi condamnant les mutilations intersexes. Mais il est encore possible de faire mieux

Communiqué de l’OII Europe du 30 mars, traduit par le Collectif Intersexes et Allié.e.s – OII France (https://oiieurope.org/a-good-first-step-germany-adopts-law-banning-igm/).

Le 25 mars 2021, le Bundestag allemand a adopté la première version d’une loi provenant du gouvernement fédéral “pour la protection des enfants présentant des variants du développement sexuel”1(19/24686). Bien que non exhaustive, cette loi fournit un premier cadre pour protéger les enfants intersexes d’interventions médicales ni vitales, ni urgentes.

“Cette loi est l’aboutissement de plus de 25 ans d’activisme intersexe en Allemagne et nous sommes ravi.e.s de voir que les années de travail des activistes intersexes nationaux portent enfin leurs fruits”, se félicite Dan Christian Ghattas, Directeur Exécutif de l’OII Europe : “Nous félicitons le Bundestag Allemand d’avoir franchi ce premier pas vers la protection des enfants intersexes face aux interventions non-vitales. Toutefois, si la loi établit un bon cadre, seul le temps nous dira si ce cadre protège efficacement tous les enfants présentant une variation des caractéristiques sexuelles. Ainsi, nous applaudissons le fait que le parlement allemand ait conscience que cette loi est en construction en ayant inclus une clause et une série de questions pour évaluer l’évolution de la loi dans cinq ans. Cette mesure montre que le Bundestag Allemand a conscience et reconnaît les risques et possibles manquements légaux de la version actuelle de la loi, et s’engage à élargir la protection dans le futur. Nous félicitons aussi tous les membres du parlement qui ont voté contre une proposition de modification excluant explicitement du cadre de protection de la loi les enfants intersexes ayant un diagnostic d’HCS. Ces enfants constituent un des plus grands groupes subissant des interventions médicales.

“Nous voyons beaucoup de points positifs dans la loi adoptée”, continue Miriam can der Have, co-présidente de l’OII Europe, “mais nous voyons aussi les risques et manquements qui devront être suivis de près. Par exemple, la loi limite sa protection aux enfants ayant été diagnostiqué.e.s suivant les définitions médicales actuelles des dits “DSDs” (désordres du développement sexuel). Lorsque ces définitions et diagnostics auront changé, les enfants concerné.e.s ne seront plus couvert.e.s par la loi et laissé.e.s sans protection. La loi en elle-même établit ces limites. Ce faisant, elle remet encore sa responsabilité politique de protéger tous les enfants intersexes aux mains de la profession médicale.”

“Prendre au sérieux les droits humains des enfants intersexes et protéger ces membres vulnérables de la société est un apprentissage”, conclut Kitty Anderson, co-présidente de l’OII Europe. “Nous soutiendrons notre association membre en Allemagne dans le suivi de la mise en place de la loi et de sa future évaluation.”

La loi conçoit trois situations possibles :

  1. Les interventions qui visent uniquement à “ajuster”, c’est-à-dire altérer l’apparence physique de l’enfant → l’intervention est illégale, les parents ne peuvent pas consentir

Dans cette situation, les parents ne peuvent pas donner leur consentement car la loi interdit aux parents ou tuteurices légaux de “consentir au traitement d’un enfant incapable de donner son consentement, qui présente un ‘variant du développement sexuel’ et qui est pratiqué uniquement dans le but de rendre l’apparence physique de l’enfant proche du sexe féminin ou masculin, et sans aucune autre raison.” (§ 1631e (1.1))

  1. Les interventions qui ne peuvent attendre et sont vitales → l’intervention est légale, les parents peuvent consentir. 

Dans ce cas, les parents peuvent consentir sans procédure supplémentaire. Ainsi la justification de la loi détaille : “s’il y a un danger de vie ou de mort et qu’une opération doit avoir lieu rapidement, il doit être présumé que l’enfant donnerait la priorité à sa protection face à ce danger s’il ou elle avait la capacité de le comprendre et d’en juger ; une telle opération est alors permise sans autorisation sous l’étroite condition mentionnée. […] Une autorisation subséquente du tribunal des affaires familiales n’est pas à fournir dans ces cas-là. Toutefois, il est possible que les faits soient revus ultérieurement sous le prisme d’un jugement au civil ou pénal” (p.28)

  1. Les interventions qui incluent l’élimination ou le but d’éliminer un désordre fonctionnel perçu, qu’il y ait ou non un risque de santé concret au moment présent → l’intervention légale, sous réserve de l’approbation du tribunal des affaires familiales; excepté pour les interventions qui deviennent une question d’urgence

L’article 1631e (2) spécifie que les parents peuvent “consentir à des interventions chirurgicales sur les caractéristiques sexuelles internes ou externes d’un enfant qui n’est pas capable de donner son consentement et qui a une différence du développement sexuel, et qui pourraient résulter en une approximation de l’apparence de l’enfant au sexe masculin ou féminin” à l’exception des interventions ayant pour seul but d’aligner l’apparence de l’enfant, qui sont interdites par l’article § 1631e (1), et “si l’intervention ne peut pas être repoussée jusqu’à ce que l’enfant prenne sa propre décision”.

Pour toutes les interventions qui tombent sous l’article § 1631e (1.2), les parents ou tuteurices légaux doivent rechercher “l’approbation du tribunal des affaires familiales, à moins que l’intervention chirurgicale soit nécessaire pour éviter un danger à la vie ou à la santé de l’enfant et ne puisse pas attendre que l’approbation soit donné.” Le tribunal des affaires familiales peut accorder sa permission si les parents le demandent et si “l’intervention prévue est dans les meilleurs intérêts de l’enfant”. ((§ 1631e (1.3))

Afin de prouver que la procédure planifiée soit dans le meilleur intérêt de l’enfant, les parents doivent apporter au tribunal des affaires familiales l’opinion d’une commission interdisciplinaire, comprenant : la personne traitant l’enfant, au moins un.e autre professionnel.le médical.e, un.e psychologue ou un.e psychiatre de l’enfance, et une personne dans le domaine de l’éthique. Sur demande des parents, la commission peut comprendre un.e conseiller.e ayant un variant du développement sexuel, mais cela n’est pas un prérequis (§ 1631e (1.4)).

Si la commission est favorable à l’intervention, il devra être présumé que l’intervention prévue est dans les meilleurs intérêts de l’enfant (§ 1631e (1.3)). De plus, en cas de soudaine émergence d’une urgence, l’intervention peut être pratiquée sans l’approbation du tribunal des affaires familiales et sans rechercher l’approbation ultérieure du tribunal une fois que l’intervention a eu lieu.

Alors que ces articles, de premier abord, semblent établir une protection des bébés et enfants intersexes face aux interventions médicales non-vitales, les détails montrent un tableau beaucoup plus complexe, avec des aspects positifs mais aussi des lacunes et un risque de possible contournement de son but premier.

Les points positifs de la loi :

  • bien que non exhaustive, elle fournit un premier cadre vers la protection des enfants intersexes face aux interventions médicales ni vitales, ni urgentes
  • elle rend illégales les opérations réalisées  sans consentement total et éclairé de l’enfant intersexe et dans l’unique but d’altérer son corps pour lui donner une apparence normative
  • elle demande à ce que les interventions qui ont pour but d’éliminer un désordre fonctionnel perçu au moment présent ou dans le futur soient approuvées par le tribunal des affaires familiales
  • elle demande à ce qu’une commission interdisciplinaire détermine si une intervention prévue est dans le meilleur intérêt de l’enfant. La loi inclut également une série de questions auxquelles le tribunal doit répondre (§ 1631e (1.5))
  • elle n’intègre pas la proposition, rapportée par un parti, d’exclure explicitement de la protection de la loi les enfants diagnostiqué.e.s HCS; ceci est particulièrement important car ces enfants constituent un des plus grands groupes subissant des interventions médicales non-vitales
  • elle étend la conservation des dossiers médicaux des enfants ayant des variants du développement sexuel jusqu’à leurs 48 ans.
  • elle demande à ce qu’une évaluation de la loi ait lieu au bout de 5 ans (§ 1631e (6)) et à ce que le gouvernement fédéral examine la loi pour voir si une extension des clauses aux points suivants est appropriée ou non : 
    • “1. extension de la procédure d’approbation par le tribunal des affaires familiales à d’autres types de traitements ou d’autres groupes d’enfants,
    • 2. introduction d’une procédure visant à vérifier la capacité de l’enfant à donner son consentement,
    • 3. introduction de conditions pour le traitement des enfants ayant des variants du développement sexuel capables de donner leur consentement, 
    • 4. introduction d’une obligation de rechercher des conseils indépendants sur la gestion des variants du développement sexuel, et
    • 5. inclusion d’une clause sur les conséquences de l’opinion de la commission interdisciplinaire”
  • la justification de la loi mentionne des interventions non-vitales courantes et les utilise comme un exemple des interventions que les tribunaux des affaires familiales devraient considérer comme tombant sous l’article § 1631e (1.1), et donc les interdire. Sans avoir de pouvoir contraignant, cet ajout peut guider les procédures au tribunal des affaires familiales.

Les obstacles que pose la loi pour aller vers une protection exhaustive des enfants intersexes:

  • manque d’universalité: 
    • la loi protège uniquement les enfants ayant ce qu’elle appelle une ‘différence du développement sexuel’ et échoue à protéger tous les enfants intersexes de manière égale.
    • comme détaillé dans la justification de l’acte de loi, l’article § 1631e (1.2) autorise les interventions qui sont “nécessaires pour soigner ou éliminer un désordre fonctionnel ou pour maintenir les capacités reproductives même s’il n’y a pas de risque concret pour la santé au moment présent”, même si “elles résultent en un ajustement de l’apparence physique” (p.27); des témoignages d’adultes intersexes ont montré que certaines de ces interventions ont de grandes chances de provoquer des traumas psychologiques et des problèmes de santé physiques si elles sont pratiquées très jeune et sans le consentement totalement éclairé des personnes intersexes elles-mêmes (ex : réalignement de l’hypospade, création d’un néovagin)
  • manque d’une définition claire de l’“urgence”: 
    • la loi ne spécifie pas quand une intervention doit être considérée trop urgente pour un recours au tribunal des affaires familiales, comme indiqué dans l’article §1631e (1.2); ceci est encore plus problématique quand on considère que le tribunal des affaires familiales a l’habitude de traiter les affaires urgentes en plusieurs jours ou semaines et que la loi ne fournit pas une obligation de rechercher le consentement du tribunal même à posteriori
  • manque de protection complète contre des possibles conflits d’intérêt:
    • les professionnel.les de médecine qui suivent l’enfant font partie de la commission  
    • la loi stipule qu’au moins un.e ou deux des professionnel.les de médecine ne doivent pas être employé.es dans l’établissement de santé où les procédures chirurgicales sont planifiées (§ 1631e (1.4)). Même si cette clause a pour but de limiter les conflits d’intérêts, le reste de la commission peut toujours être constitué de membres de cet établissement; il y a un réel risque de biais, en particulier si l’on considère que les corps intersexes continuent d’être médicalisés et pathologisés dans les environnements de santé et établissements spécialisés dans les interventions liées aux “DSD”.
  • manque de garantie d’une information exhaustive:
    • tandis que la loi stipule que l’avis de la commission doit spécifier si les parents et l’enfant intersexe ont reçu des conseils de personnes concernées, et si oui, si lea conseiller.e concerné.e soutient l’intervention prévue, elle ne pas rend pas obligatoire le recours au conseil d’une personne concernée. L’information exhaustive des parents, incluant des conseils ne venant pas de la part de médecins, n’est pas assurée
  • manque d’un système de suivi :
    • la loi fournit une liste de questions guidant de possibles futurs amendements dans le contexte de son évaluation, mais elle ne fournit pas de système de suivi actif pendant la période d’application
  • manque d’un bas seuil d’accessibilité à la justice pour les futur.e.s adultes intersexes, dans les cas où la loi serait enfreinte :
    • l’ouverture un centre fédéral dédié à l’enregistrement et au stockage des dossiers médicaux des patient.e.s n’a pas été actée, à cause de délais trop courts; cela rend le suivi difficile mais aura aussi un impact négatif sur l’accessibilité aux dossiers médicaux pour les futur.e.s adultes intersexes
    • des pénalités sont possibles via le code pénal ou civil mais aucune clause spécifique ne prend en compte les circonstances de vulnérabilité spécifiques des possibles victimes d’une telle violation; de plus, des experts du droit ont noté que la loi en tant que telle pourrait poser des problèmes dans l’application du code pénal et civil.
  • manque de régulation des fuites vers l’étranger :
    • des interventions illégales sur les enfants intersexes en Allemagne, pourront toujours être pratiquées dans d’autres pays sans aucune conséquence.

1La loi allemande crée un nouveau terme légal : “Variante der Geschlechtsentwicklung” (“variant du développement sexuel”). Cette terminologie est équivalente aux termes pathologisants de “désordre/différence du développement sexuel” et est utilisée dans ce sens dans le texte de loi. Elle ne doit pas être confondue avec la terminologie utilisée par les défenseur.ice.s des droits humains : “variation des caractéristiques sexuelles”.

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