Déclaration lue au colloque « De l’hermaphrodisme à l’intersexuation » qui s’est tenu le samedi 24 juin 2017 à Paris 7 :
Ceci est une déclaration conjointe du Collectif Intersexes et Allié.e.s et de l’Organisation internationale des intersexes. Cette déclaration émane des activistes intersexes invité.e.s à ce colloque, que ce soit pour y intervenir ou pour figurer dans le public.
Nous dénonçons la tenue d’un colloque sur nous et quasiment sans nous. Sur les 23 intervenants et intervenantes, seules 3 personnes intersexes ont été invitées à s’exprimer. Pourtant, nous existons. Nous avons une expertise sur nos vies, nos luttes, nos besoins. Nous avons pour beaucoup d’entre nous, davantage travaillé et lu, voire écrit, sur nos thématiques, que la plupart des personnes qui prendront la parole aujourd’hui. Nous avons participé à des conférences, été entendu.e.s par des institutions nationales et internationales, qui ont reconnu notre expertise. L’Université française sera-t-elle la seule à la refuser ?
Nous regrettons que l’organisation de ce colloque n’ait aucunement cherché à nous associer à l’élaboration de cette journée, et nous propose encore une fois un dispositif paternaliste, qui ne prend en compte ni la notion de savoirs situés ni la violence de devoir intervenir seulement depuis la salle alors que des théoriciens, théologiens, médecins, discourent sur nous depuis la tribune. Ce paternalisme qui nous écrase, de personnes qui pensent savoir mieux que nous ce qui est bon pour nous, nous est bien trop familier. C’est celui de nos bourreaux, des médecins, de nos parents, parfois. Nous ne le tolérons pas.
Le texte de présentation le démontre encore. Nous y sommes qualifié.e.s je cite de « corps parlants », renvoyé.e.s encore et toujours à nos anatomies, faisant face, je cite encore, « aux corpus des savoirs », comme si nous en étions étrangers et étrangères, comme si nous n’y avions pas, et de manière déterminante, largement contribué. Il semble que nous ne soyons là, toujours selon ce texte, que pour nourrir les travaux des chercheurs… et ainsi accélérer leurs carrières.
En outre, ce texte euphémisme notre oppression, lisse nos réalités, tait nos combats. On n’y parle ni de mutilations, ni de traitements dégradants, ni de violences médicales, ni de violences étatiques. Bien sûr que non. Entre personnes non concernées, on ne sent pas l’urgence de nommer les choses par leur nom. En réalité, au nom d’une prétendue objectivité académique, c’est encore et toujours les mêmes processus de domination qui sont à l’œuvre.
Pour être des allié·e·s, les bons sentiments ne suffisent pas. Être allié·e·s c’est être en deuxième ligne. Ce n’est pas prendre la parole à la place des personnes concernées déjà tellement soumises au silence. L’argumentaire du colloque dit « aucune de ces réflexions ne saurait être menée sans l’implication des personnes intersexuées » et un peu plus loin notre participation est encouragée. Le curseur n’est clairement pas au bon endroit. Nous n’avons pas besoin d’être associé·e·s par vous. Nous sommes déjà là depuis longtemps. Bien avant que vous vous intéressiez à nous, nous écrivions, nous militions sur le terrain. Nous n’allons pas remercier qui que ce soit de pouvoir nous installer sur un petit strapontin comme si c’était un privilège d’être invité.e.s à occuper cette place.
Oui, nous pensons que ce colloque, son organisation, son argumentaire, la façon dont il structure les prises de parole sont paternalistes. “Le paternalisme est une attitude du pouvoir, à la fois bienveillante et autoritaire, qui consiste à imposer une domination sous couvert de protection désintéressée. Il s’agit de faire le bien d’autrui, éventuellement contre son gré, en lui déniant les capacités cognitives ou morales nécessaires à la poursuite et l’obtention de ce bien. Il s’agit donc d’abord d’une relation asymétrique dans laquelle à la surveillance de l’un, disposant de la sagesse et du pouvoir, répond la dépendance de l’autre, supposément dépourvu de la capacité à être un sujet libre et conscient”.
Bien des mouvements politiques de minorités sont et ont été confrontés à ce genre de processus. Beaucoup des personnes présentes ici sont des universitaires dans le domaine des sciences humaines, l’Histoire de ces mouvements ne doit pas vous être inconnue. Aujourd’hui, vous n’êtes pas seulement des observateurs et observatrices, vous êtes également des acteurs et actrices qui participez à notre silence et à notre mise sous tutelle symbolique.
Tout ceci n’est sans doute pas agréable à entendre mais entre l’inconfort qui est le vôtre à écouter ce texte et la violence qu’il y a pour nous à être traité.e.s de la sorte par vous, il n’y a pas de comparaison possible. N’oubliez pas que vous arrivez ici sur un terrain qui est le vôtre, dont vous maîtrisez les codes. Nous, nous arrivons dans ce lieu qui n’est pas le nôtre et nous arrivons déjà avec le poids des mutilations, des discriminations étatiques, de l’invisibilisation, de la monstration. Ne comptez pas sur nous pour taire cela. Être des allié·e·s c’est effectuer un travail exigeant, c’est être dans un questionnement réflexif, c’est s’interroger sur la portée de ses actions et de ses discours. Quand on prend la parole en tant qu’allié·e·s, ce n’est pas de sa seule parole qu’on a la responsabilité, c’est surtout des conséquences qu’elle a sur les personnes concernées d’un point de vue politique.
Nous avons appris il y a moins de deux semaines que l’objectif de la table ronde finale serait je cite « de terminer le colloque par un certain nombre de propositions concrètes destinées à favoriser demain l’inclusion des personnes intersexuées. Nous souhaiterions que ces propositions soient reproduites à la fin des actes du colloque, en espérant qu’elles inspireront plus tard les pouvoirs publics et plus généralement tous ceux soucieux de changer les pratiques actuelles relativement aux personnes intersexuées. » fin de citation.
Comment trouver les mots pour décrire ce que nous avons ressenti collectivement face à cette annonce ?
Comment des personnes qui se revendiquent alliées peuvent-elles estimer ce colloque, où les personnes concernées sont si minoritaires, comme légitime pour élaborer des propositions concrètes ? Quel mépris enfin des organisations intersexes, nationales et internationales, qui ont depuis longtemps élaboré, après des années de travail, d’analyses et de discussions poussées, des propositions consensuelles en leur sein ?
Les propositions pour favoriser l’inclusion des personnes intersexuées existent déjà : elles s’appellent la Déclaration de Malte de 2013, la Déclaration de Riga de 2014, la Déclaration de Vienne et la Déclaration de Darlington de mars 2017.
C’est bien en tournant le dos au mouvement intersexe réel que ce colloque s’est construit. Une dernière preuve s’il en est encore besoin : avoir choisi la date de la Marche des Fiertés, contraignant de nombreux et nombreuses activistes intersexes à devoir renoncer à apparaître en plein jour, en pleine fierté, dans le mouvement LGBTIQ qui s’exprime ce jour dans la rue, pour venir batailler depuis les gradins de cet amphithéâtre.
Nous prenons donc la parole maintenant pour affirmer que nous, les seules organisations par et pour les intersexes en France, nous désolidarisons intégralement des propos et des propositions qui pourraient être produites dans et par ce colloque. Nous nions toute légitimité à cette journée d’étude. Nous demandons à toutes les personnes qui se revendiquent sincèrement alliées de nos luttes de refuser de participer à cette démarche.
Je vous remercie pour votre écoute.
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