Avis du Collectif Intersexes et Allié.e.s sur le rapport du Sénat “Variations du développement sexuel : lever un tabou, lutter contre la stigmatisation et les exclusions”

La délégation aux droits des femmes du Sénat vient de rendre son rapport intitulé “Variations du développement sexuel : lever un tabou, lutter contre la stigmatisation et les exclusions”. Dans la lignée de l’Avis du Défenseur des droits, le Sénat a avancé sur une série de recommandations. Voici nos positions les concernant :

Recommandation n° 1 : La délégation appelle à retenir comme terminologie officielle la notion de « variations du développement sexuel », plutôt que celle d’« anomalies du développement génital » ou de « désordres/troubles du développement sexuel », de manière à s’abstenir de se référer à un terme relevant du vocabulaire de la pathologie, inutilement stigmatisant.

Le CIA se félicite de cette évolution.

Recommandation n° 2 : La délégation recommande d’étendre les missions du Centre de références des maladies rares (CRMR) en charge des variations du développement sexuel à l’établissement de statistiques précises et détaillées sur les opérations de réassignation effectuées chaque année et sur le suivi médical des personnes concernées.

Le CIA rappelle que l’intersexuation n’est pas une maladie, et regrette que le travail sur ces variations soient confié à un organisme dont l’intitulé peut maintenir l’ambiguïté à cet égard. Nous nous félicitons cependant de la volonté des pouvoirs publics d’obtenir des statistiques précises et détaillées sur la situation.

Recommandation n° 3 : La délégation préconise que, sur la base de la présomption de discernement de l’enfant, celui-ci soit associé dans la mesure du possible par les équipes médicales à toute décision le concernant.

Le principe de “présomption de discernement”, sans critère d’âge, permet de prétendre que l’enfant a consenti (rendant plus difficile les contestations ultérieures) et ne semble destiné à s’appliquer que pour permettre des chirurgies sur des enfants intersexes. A l’inverse, cette présomption de discernement ne semble pas pouvoir s’appliquer pour les enfants ou adolescent.e.s trans souhaitant bénéficier de chirurgies ou de traitements hormonaux. Ce deux poids deux mesures démontre bien en creux qu’il s’agit d’une approche pathologisante des personnes intersexes. Nous réclamons l’autodétermination pour tou.te.s, sur des critères clairement établis. A l’inverse, le principe de précaution évoqué plus loin doit permettre de protéger les enfants et adolescent.e.s intersexes contre les actes médicaux non nécessaires à leur santé et non réclamés librement par elles et eux.

Recommandation n° 4 : La délégation préconise la mise à l’étude de l’indemnisation des personnes ayant souffert des conséquences d’opérations pratiquées en lien avec une variation du développement sexuel, qui pourrait être confiée à l’ONIAM135(*), le cas échéant dans le cadre d’un fonds dédié.

Le CIA constate que ce fonds d’indemnisation, s’il répond financièrement à des attentes de personnes intersexes, permet également de déresponsabiliser le corps médical, qui est ici protégé de toute attaque pénale.

Recommandation n° 5 : La délégation recommande la saisie du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur la situation des personnes concernées par les variations du développement sexuel, dans les meilleurs délais.

Le CIA refuse au CCNE toute légitimité pour se prononcer sur la situation des personnes intersexes. Le CCNE comporte notamment en son sein des personnalités nommées au titre de leur appartenance à des “familles spirituelles”, et a délibérément bloqué l’avancée de l’accès à la PMA pour toutes les personnes souhaitant y recourir, et refusé de lever l’accès au don du sang pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Nous n’avons aucune confiance dans sa neutralité ni dans sa capacité à adopter des positionnements progressistes pour les minorités politiques.

Recommandation n° 6 : La délégation promeut un suivi dans la durée des personnes présentant des variations du développement sexuel, de façon à mieux connaître l’évolution de leur situation, non seulement sur les plans médical et psychologique, mais aussi dans le domaine économique et social.

Elle relève qu’au vu des chiffres disponibles, le phénomène est loin d’être anodin et plaide donc pour un soutien adapté des associations d’aide aux personnes concernées.

Le CIA se félicite de cette préoccupation.

Recommandation n° 7 : La délégation recommande de généraliser la formation des professionnel-le-s du corps médical susceptibles d’être en contact avec des personnes dites « intersexes » aux questions posées par le traitement des variations du développement sexuel. Elle préconise dans le même esprit de renforcer la formation des futur-e-s médecins aux variations du développement sexuel et de l’étendre aux aspects de cette question relevant des sciences sociales.

Le CIA se félicite de cette préoccupation. Il serait souhaitable que cette formation soit étendue aux personnels éducatifs et notamment de petite enfance.

Recommandation n° 8 : La délégation souhaite que soit établi un protocole de traitement des variations du développement sexuel qui, en raison du caractère irréversible des opérations :

– fasse prévaloir le principe de précaution avant toute décision concernant une intervention chirurgicale ;

– préconise d’apprécier la nécessité médicale de l’opération envisagée et de s’interroger sur sa réelle urgence ;

– prévoie que les familles soient systématiquement orientées vers les centres spécialisés où leur enfant pourra être pris en charge par une équipe pluridisciplinaire offrant les meilleures garanties aux patient-e-s.

Le CIA regrette que, contrairement à des pays plus avancés, le Sénat français n’envisage aucunement une inscription pure et simple dans le droit de l’interdiction de réaliser des opérations chirurgicales sans le consentement des personnes et sans enjeu de santé. Cette recommandation laisse les enfants et leurs parents dans la dépendance des opinions des équipes médicales, et ce alors que nombre d’entre elles admettent l’absence de nécessité médicale, et se livrent à des attitudes coercitives sur les familles (voir plus bas).

Recommandation n° 9 : La délégation juge souhaitable que le ministère des Affaires sociales et de la Santé envisage des mesures permettant de garantir un accompagnement personnalisé aux enfants concernés par les variations du développement sexuel et à leurs parents et à dispenser à ces derniers, dès les premiers instants du diagnostic, une information médicale aussi sereine que possible et sous un angle non exclusivement pathologique.

Elle demande que cet accompagnement ne se limite pas à la période des premières démarches médicales, mais qu’il se poursuive dans la durée, et plus particulièrement au moment décisif de l’adolescence.

Le CIA se félicite de cette préoccupation.

Recommandation n° 10 : La délégation préconise l’établissement de listes d’équipes pluridisciplinaires ayant une expertise en matière de variations du développement sexuel, ainsi que la désignation officielle des centres habilités à opérer les patients concernés.

S’il est positif que les éventuelles opérations soient réalisées par des personnes spécialisées et formées, il ne s’agirait pas que cet effet de groupe rende plus difficile la remise en question de la routine opératoire, ni le respect du principe de précaution.

Recommandation n° 11 : La délégation est favorable à la mise à l’étude du développement d’un conseil en génétique auprès des futurs parents.

Le CIA fait part de son inquiétude vis-à-vis de cette recommandation qui pourrait renforcer une attitude eugéniste de la part du corps médical.

Recommandation n° 12 : La délégation préconise l’établissement de statistiques précises, fondées sur une base scientifique, concernant les personnes présentant des variations du développement sexuel. Dans cette perspective, elle recommande que le CRMR (centre de références des maladies rares) en charge des variations du développement sexuel soit mandaté, dans le cadre du troisième Plan national « Maladies rares » en préparation, pour établir une cartographie précise et une base de données concernant les variations du développement sexuel.

Nous renvoyons à notre avis sur la recommandation n°2.

Recommandation n° 13 : La délégation est favorable à un effort de sensibilisation aux difficultés vécues par les personnes concernées par les variations du développement sexuel, afin de briser les tabous et d’éviter l’exclusion et la marginalisation de ces personnes.

Dans cette perspective, elle recommande de promouvoir l’information de toutes les personnes travaillant au contact avec les enfants et les adolescents sur la situation des personnes présentant une variation du développement sexuel, et sur les difficultés qu’elles rencontrent tout au long de leur vie.

Elle préconise également d’intégrer l’information sur les variations du développement sexuel aux programmes d’éducation sexuelle.

Enfin, elle souhaite favoriser la réalisation et la diffusion de thèses de sciences humaines et sociales sur cette thématique.

Le CIA se félicite de cette recommandation. Il s’interroge cependant sur le financement desdites informations et thèses.

Recommandation n°14 : La délégation recommande que soit mise en oeuvre une réflexion sur une évolution de notre droit visant à :

– prolonger le délai de déclaration des naissances au-delà des cinq jours prévus par l’article 55 du code civil ;

– permettre aux mineurs-e-s de solliciter un changement de sexe à l’état-civil ;

– ne pas mentionner les informations sur la rectification ou la modification du sexe à l’état civil dans les mentions marginales des extraits d’actes de naissance.

Ces recommandations sont conformes à nos revendications, mais nous soulignons que la déclaration de Malte réclame à terme la suppression de le mention de sexe pour tou.te.s à l’état civil.

Recommandation n° 15 : La délégation juge souhaitable :

– une évaluation de la circulaire du 28 octobre 2011 et des procédures qu’elle définit en cas de difficulté à déclarer le sexe d’un enfant à la naissance ;

– une réflexion sur une éventuelle extension du délai maximal de deux ans qu’elle prévoit, au terme duquel l’acte de naissance doit mentionner le sexe de l’enfant, ce délai pouvant être inadapté à certaines circonstances ;

– la mise à l’étude de l’inscription dans la loi de ce délai maximal, qui semble ne pas devoir relever d’une circulaire.

Elle suggère que ces propositions puissent être étudiées dans le cadre des travaux en cours de la mission « Droit et Justice ».

De nouveau, ces recommandations sont conformes à nos revendications, mais nous soulignons qu’il serait plus efficace de cesser toute mention de sexe à l’état-civil.

 

Nous nous félicitons également que les médecins reconnaissent le rôle fondamental des mouvements intersexes dans la remise en question de leurs pratiques :

Dr Claire Bouvattier. – Mais si les patients d’il y a vingt-cinq ans n’avaient pas pris la parole et ouvert ce débat, nous n’aurions pas évolué. S’ils n’avaient pas été capables d’exprimer leurs souffrances, s’ils ne nous avaient pas – parfois – rudement interpellés, nous serions-nous posé des questions ? Ce débat est donc positif…

Dr Pierre Mouriquand. – Je suis tout à fait d’accord, cette prise de parole, aussi dure qu’elle soit, a un effet positif. Nous ne pourrons plus continuer à faire ce type d’approche du diagnostic et de la thérapeutique à mettre en oeuvre sans nous entourer d’un collège de personnes – psychiatres, juristes, etc.”

Nous déplorons cependant que ces mêmes médecins prétendent que lesdites pratiques n’ont plus rien de problématique et que nos critiques portent sur des temps révolus, et ce alors que la France a été condamnée 3 fois en 2016 par l’ONU (en janvier par le Comité de l’ONU des Droits de l’Enfant, en mai par le Comité contre la torture, puis en juillet par le comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes) pour les mutilations faites aux enfants intersexes. Pire, qu’ils se posent en victimes eux-mêmes, alors que c’est bien de leur côté que l’autorité sociale penche, comme ils le reconnaissent eux-mêmes par leur position paternaliste à l’égard des familles:

Dr Pierre Mouriquand : Nous sommes désormais beaucoup plus précis dans les explications que nous donnons aux parents, que ce soit sur le diagnostic ou sur le traitement. Nous avons mis en place au CHU de Lyon un conseil d’éthique pédiatrique – composé notamment de juristes, de psychiatres, de religieux. Ce conseil d’éthique rencontre les parents autant de fois que nécessaire de manière à ce qu’ils comprennent les « troubles » ressentis par les médecins. Il me semble que nous avons perdu une certaine arrogance au profit de l’expression de nos doutes. Personne ne détient la vérité, nous en sommes bien conscients. Nous avons besoin d’expliquer aux parents les procédures ou protocoles mis en oeuvre pour leur enfant, nous le faisons en parlant avec eux ou par écrit. Les courriers que j’écris aux parents leur font part de toutes mes hésitations, car il faut aussi, c’est compréhensible, que je puisse me défendre face à d’éventuels contentieux. »

Et plus loin : « le corps médical a besoin d’aide. De temps en temps, comme en ce moment, nous devons faire face à des propos virulents, voire agressifs.”

Virulents, agressifs ? Faut-il s’en étonner, alors qu’on parle de mutilations imposées sans nécessité médicale, sans aucun risque pour la santé de l’enfant, et dont les conséquences peuvent elles créer des pathologies ?

Citons encore le Dr Mouriquand :

“Pour éviter la chirurgie, lorsque l’on prescrit un traitement hormonal, lors de sa grossesse, à une femme qui porte une petite fille atteinte d’une HCS, il est possible de réduire considérablement la virilisation de l’enfant. Ce traitement est très controversé car les effets secondaires peuvent être sérieux, non seulement chez la mère – hypertension, vergetures, diabète – mais également chez l’enfant qui peut présenter des troubles cognitifs très importants. Ce sont les raisons pour lesquelles certains pays – la Suède ou les États-Unis – ont abandonné ces traitements hormonaux.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure. – Qu’en est-il en France ?

Dr Pierre Mouriquand. – Nous continuons à les prescrire.”

Enfin, le CIA fait part de sa grande inquiétude au sujet du choix de la commission de considérer qu’il y aurait unanimité à reconnaître que les personnes en situation d’hyperplasie congénitale des surrénales seraient toutes des femmes malades à soigner et donc à mutiler.

Il s’agit d’une prise de position en faveur des thèses du corps médical, qui ne sont pourtant que des assertions sans aucun fondement scientifique. D’autant plus que de nombreuses personnes en situation d’hyperplasie congénitale des surrénales ne s’identifient pas comme femmes et dénoncent les traitements inhumains et dégradants qu’elles ont subis dans l’enfance, et les déficiences induites par les chirurgies qui leur ont été imposées.

Ces atteintes à l’intégrité physique sont d’ailleurs des actes sexistes et homophobes puisque leur seule finalité est de permettre un coït hétérosexuel en tant que « femme » dans une visée hypothétique de reproduction.

Au-delà, le fait même de vouloir transformer nos corps au moyen de chirurgies et de traitements hormonaux non consentis dans la petite enfance est contraire aux lois de bio-éthiques et aux recommandations tant de l’ONU que du Conseil de l’Europe.

Le Collectif Intersexes et Alllié.e.s maintient ses revendications pour les droits des personnes intersexes : l’arrêt immédiat des mutilations et traitements hormonaux imposés, l’accès total et réel de chacun.e à son dossier médical, l’abolition de la mention de genre à l’état-civil, la formation aux réalités intersexes de l’ensemble du personnel médical mais aussi éducatif, ainsi que des parents et futurs parents.

 

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