Le 10 avril 2024 est sorti en salles le film Rosalie de Stéphanie Di Giusto, sur un scénario de Sandrine Le Coustumer et Stéphanie Di Giusto. Le récit de Rosalie s’inspire explicitement mais très librement des Mémoires de Clémentine Delait, célèbre femme à barbe du début du XXe siècle.
Les personnes ayant des caractéristiques sexuelles jugées atypiques se mobilisent depuis trente ans pour plus de visibilité et contre les violences médicales et sociales qu’elles subissent : des associations de personnes concernées existent et produisent un grand nombre d’outils et de ressources pour saisir le vécu des personnes intersexes. Or, à aucun moment les scénaristes n’ont cherché à se renseigner auprès des associations de personnes concernées ni auprès des chercheuses engagées dans la recherche historique sur le sujet.
Au contraire, elles ont développé un regard objectifiant et anachronique de la vie des femmes à barbe au XIXe siècle.
Ainsi, Stéphanie Di Gusto parle publiquement de son objectif premier qui était de s’intéresser à Rosalie principalement par le regard des hommes et la recherche de leur désir, et son personnage est ainsi hypersexualisé et exotisé. Le film met ainsi en scène Rosalie en train de poser pour des cartes postales érotiques, alors que les cartes postales de Delait ne l’étaient aucunement. La réalisatrice reproduit ainsi, dans ses interviews, ce point de départ pathologisant, ahistorique et alterisant envers son objet, la femme à barbe. Elle dit: « J’ai lu ses mémoires autobiographiques et je me suis demandé : “C’est quoi, aimer cette femme ? » Ce qui l’intéresse, dit-elle, c’est d’abord le mari de Clémentine Delait et le désir masculin.
Les comédiens expriment également publiquement cette vision en parlant de leur “dégoût” initial, qu’ils auraient réussi à dépasser – bravo ! La réalisatrice assume également son indifférence quant aux conséquences sur les personnes réelles des représentations produites, dans la lignée d’une longue histoire de représentations dominantes : « – Peut-on dire que Rosalie possède un message ? Non, je ne pense pas. Je ne veux pas donner de leçon avec mes films. »
Elle choisit également de réinventer la vie de Clémentine Delait en créant des situations violentes et dramatiques, comme pour appuyer une idée préconçue de l’impossibilité d’une telle vie de femme à barbe assumée, heureuse, mère, épouse, patronne qu’était Delait.
Comment se fait-il qu’en 2024 on soit encore incapable de présenter une femme à barbe de manière non tragique ? La vie de Delait se trouve ainsi déformée : il est refusé à Rosalie d’adopter un enfant, ce qui n’a pas été le cas de Clémentine, et sa vie prend fin précocement (alors que Delait a vécu jusqu’à 70 ans).
Une scène présentant un examen médico-gynécologique, dont la crédibilité historique laisse à désirer, reproduit le prisme encore actuel de médicalisation des corps intersexe : la féminité de Rosalie et sa désirabilité se doit d’être validée par un médecin, comme si les médecins étaient les seuls à pouvoir statuer sur le “vrai sexe” des individus. On y comprend aussi le besoin des scénaristes de donner un diagnostic, une explication médicale à la barbe de Rosalie, qui n’est pourtant aucunement un problème de santé.
Les femmes à barbe au XIXe siècle faisaient partie de la culture populaire : Clémentine Delait s’inscrivait dans une tradition bien établie en créant son Café de la Femme à Barbe. Les scénaristes ont décidé d’ignorer les réalités historiques pour tenir un discours simpliste et faux : il est impossible d’être heureuse en étant une femme portant la barbe. Cela n’a rien d’anodin : c’est ce type d’affirmations, jamais démontrées, qui ont justifié la mise en place systématique des violences médicales sur les personnes intersexes au milieu du XXe siècle. Par ailleurs, il faut se demander l’effet d’un tel message sur les personnes intersexes spectatrices du film.
Les femmes portant la barbe ne sont pas un mythe historique : leurs vies étaient réelles et sont documentées. Elles existent toujours aujourd’hui, et subissent de nombreuses violences médicales. A bien des égards, leur situation sociale s’est dégradée. On peut ainsi questionner le choix d’une actrice dyadique – non intersexe – pour ce rôle, contribuant à renforcer l’effet de surprise avec l’ajout d’une barbe sur un visage connu glabre. De la même façon, choisir une actrice très mince alors que Clémentine Delait, comme la majorité des femmes portant la barbe, était grosse, dit également beaucoup sur les priorités de la réalisatrice.
Le Collectif Intersexe Activiste – OII France exprime donc sa condamnation des choix nombreux et cohérents de la réalisatrice qui produisent un film mensonger, anachronique, et nuisible pour les personnes intersexes.
Le Collectif Intersexe Activiste – OII France