Communiqué du Collectif Intersexes et Allié.e.s sur le nouveau Protocole National de Diagnostic et de Soins concernant les personnes présentant une insensibilité partielle ou complète aux androgènes (IPA/ICA), élaboré par la Haute Autorité de Santé
Résumé :
Le Collectif Intersexes et Allié.e.s a pris connaissance avec colère et consternation du nouveau Protocole National de Diagnostic et de Soins concernant les personnes présentant une insensibilité partielle ou complète aux androgènes (IPA/ICA), élaboré par la Haute Autorité de Santé.
Allant à l’encontre des recommandations des institutions de défense des droits humains, de l’ONU, de l’Assemblée du Conseil de l’Europe, de la DILCRAH, et de la délégation aux droits des femmes du Sénat, la Haute Autorité de Santé continue d’inciter les médecins et les familles à soumettre les enfants et adolescent·e·s intersexes à des opérations chirurgicales mutilantes sans nécessité médicale ni urgence vitale, et sans le consentement libre et éclairé de la personne.
Ces chirurgies cosmétiques relèvent uniquement de normes sociales et sont préconisées malgré leurs lourdes conséquences psychiques et physiques, notamment le haut risque de complications mentionnées dans le même document : “Les complications postopératoires des chirurgies génitales sont fréquentes : résultats cosmétiques insatisfaisants, défaillances urétrales (fistule, déhiscence), difficultés mictionnelles (sténose, urétrocele), difficultés sexuelles (la courbure persistante du pénis, les troubles de l’érection) chez le garçon, sténose vaginale chez la fille”.
Le Collectif Intersexes et Allié.e.s interpelle donc le Ministère des solidarités et de la santé, la secrétaire d’État auprès du Premier Ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, la délégation aux droits des femmes du Sénat, la DILCRAH, et le Défenseur des droits, afin que ce protocole soit revu dans le sens du respect de l’intégrité physique et sexuelle des personnes mineures concernées.
Analyse :
Le Collectif Intersexes et Allié.e.s a pris connaissance avec colère et consternation du nouveau Protocole National de Diagnostic et de Soins concernant les personnes présentant une insensibilité partielle ou complète aux androgènes (IPA/ICA), élaboré par la Haute Autorité de Santé.
Que ce document ait une approche pathologisante et stigmatisante n’est malheureusement pas pour nous surprendre, car le respect des variations intersexes est encore à construire dans le corps médical français. Ce discours en termes de “maladie” et de “défaut” est infondé car cette variation ne met pas en danger la santé de la personne. Au contraire, ce sont bien les interventions non consenties sur le corps des mineur·e·s intersexes qui peuvent générer traumas, pathologies iatrogènes, douleurs aiguës et persistantes, en particulier lorsque ces actes médicaux sont effectués sans la volonté réelle de la personne concernée.
Il est donc inqualifiable que ce protocole entérine à nouveau les pratiques de violences médicales à l’encontre des enfants et adolescent·e·s intersexes.
Nous rappelons que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté le 12 octobre dernier la résolution 2191 (2017) Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes qui invite les Etats membres du Conseil de l’Europe à “interdire les actes chirurgicaux de «normalisation sexuelle» sans nécessité médicale ainsi que les stérilisations et autres traitements pratiqués sur les enfants intersexes sans leur consentement éclairé”, et à “garantir que, hormis dans les cas où la vie de l’enfant est directement en jeu, tout traitement visant à modifier les caractéristiques sexuelles de l’enfant, notamment ses gonades ou ses organes génitaux externes ou internes, est reporté jusqu’au moment où cet enfant est en mesure de participer à la décision, en vertu du droit à l’autodétermination et du principe du consentement libre et éclairé”.
Par ailleurs, le rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat français Variations du développement sexuel : lever un tabou, lutter contre la stigmatisation et les exclusions, déposé le 23 février 2017, recommande que “soit établi un protocole de traitement des variations du développement sexuel qui, en raison du caractère irréversible des opérations : – fasse prévaloir le principe de précaution avant toute décision concernant une intervention chirurgicale ; – préconise d’apprécier la nécessité médicale de l’opération envisagée et de s’interroger sur sa réelle urgence”.
Enfin, la DILCRAH a stipulé dans son Plan de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT qu’il fallait “Arrêter les opérations et mutilations sur les enfants intersexes”, rappelant que “La France a été condamnée à trois reprises en 2016 sur cette question par l’ONU : en janvier par le Comité des droits de l’enfant, en mai par le Comité contre la torture, et en juillet par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Lorsqu’elles ne sont pas impératives pour raisons médicales, ces opérations sont des mutilations et doivent cesser.”
L’État français est donc pris dans une contradiction entre les règles de droit des personnes et les habitudes médicales normatives que rien ne semble venir menacer.
Le nouveau Protocole National de Diagnostic et de Soins, paru après la publication des trois textes précités et la triple condamnation de la France par l’ONU, continue à ignorer à la fois le droit et les témoignages des personnes concernées, et à recommander des traitements et chirurgies mutilantes sur la seule base de normes sociales, sans aucune urgence ou nécessité médicale.
Et ce, sans chercher à recueillir le consentement libre et éclairé de la personne, à vérifier leur volonté expresse, notamment par la mise en lien avec des associations de défense des personnes intersexes, ou de défense des droits humains en général; au contraire, le consentement est évacué au profit de la notion d’”adhésion”, qui relève de la conviction par le médecin du/de la patient·e, afin de lui faire suivre le protocole que le médecin a décidé. Rappelons que la notion d’”adhésion thérapeutique” n’a pas de valeur légale et ne saurait se substituer à l’expression du consentement libre et éclairé, ce dernier étant particulièrement difficile à assurer dans la situation des enfants intersexes soumi·se·s à l’autorité parentale et médicale, et devant donc faire l’objet d’une très grande prudence.
Le recours à des psychiatres, et non uniquement à des psychologues, que ce soit à l’annonce du diagnostic ou lors du suivi, entretient l’idée d’une corrélation entre situation d’intersexuation et maladie mentale. Un suivi psychologique peut être proposé à l’enfant et à sa famille mais ne doit en aucun cas être imposé. Par ailleurs, ce suivi devrait être assuré par des professionnels ayant suivi une formation sur le sujet avec une approche non-pathologisante des variations du développement sexuel.
En pompiers pyromanes, les auteurs prétendent se soucier de l’isolement scolaire de l’enfant, alors que c’est précisément la pathologisation et la stigmatisation des caractéristiques sexuelles de l’enfant qui sont la première source de honte et de tabou. Loin d’interroger ces pratiques, la détresse psychologique de l’enfant générée par la médicalisation est instrumentalisée pour justifier les chirurgies mutilantes précoces. On peut même se demander, au vu du recours à la notion d’”adhésion” et des positions normatives de la large majorité d’entre eux, à quel point les psychiatres/psychologues auront comme rôle le soutien de l’enfant, ou à quel point leur fonction principale est de participer à sa coercition en vue de son acceptation des actes médicaux mutilants.
Il faut rappeler que le risque tumorale est toujours très minoritaire dans le cas des ICA et peut faire l’objet d’une simple surveillance, jusqu’à la majorité de la personne. Le PDNS le reconnait au point 3.5.2. Pourtant un peu plus loin, au point 4.1, il précise finalement que pour les adolescentes et adultes ICA “La prise en charge thérapeutique comprend le traitement de l’hypoplasie vaginale pour permettre une sexualité satisfaisante et la gonadectomie prophylactique visant à prévenir le risque de transformation maligne des testicules.” Seule l’”adhésion de la patiente” est recherchée.
Pour les IPA, la gonadectomie est recommandée avant la puberté au point 3.5.2 pour “éviter la virilisation pubertaire”; au point 4.3.1 on en arrive à “elle doit être réalisée”; les conséquences d’une telle opération (traumas, déclenchement artificiel de puberté, traitement hormonal de substitution à vie) ne sont absolument pas prises en compte, et aucune autre option n’est proposée; quant au consentement de la personne, il n’est même pas évoqué. Pourtant au point 4.1, le PNDS mentionne “Tant que l’enfant ne peut pas participer à la décision thérapeutique, aucune action médicale ou chirurgicale potentiellement irréversible ne doit être pratiquée.” Est-ce à dire qu’on considère que l’enfant peut participer à la décision thérapeutique dès avant sa puberté, autorisant une opération irréversible ?
Aucune urgence non plus ne guide la création ou l’agrandissement d’un vagin, que ce soit par dilatation ou vaginoplastie : c’est une modification corporelle qui n’est motivée que par des critères sociaux (l’objectif d’une pénétration pénienne) et constitue une violence grave s’apparentant en cas d’absence de consentement libre et éclairé à des viols répétés. Pourtant, la modification du vagin n’est même pas présentée comme une option : la seule liberté laissée à la personne est l’âge de début des dilatations. Et ce alors que le même document indique que “l’obtention d’une taille vaginale normale ne prédit pas une fonction sexuelle normale et l’absence de difficulté sexuelle. Les dilatations manuelles peuvent être mal vécues en stigmatisant l’anomalie génitale ou en créant une répulsion pour l’activité sexuelle particulièrement chez les jeunes patientes. La méthode chirurgicale peut entraîner des cicatrices douloureuses ainsi que des problèmes de lubrification vaginale”.
La même approche normative de la sexualité guide la recommandation de chirurgie de la verge chez les adolescents IPA.
Chez les personnes IPA assignées garçons, des chirurgies complexes sont également imposées, sur des critères sociaux (déplacement de l’urètre et des testicules), dès la 2e année de la vie, ne laissant aucune place à l’avis de l’enfant, ce qui va à l’encontre de toutes les recommandations en termes de droits humains. Ici encore, la priorité est donnée aux normes sociales portées par les médecins, sans nécessité médicale ni urgence vitale.
Chez les personnes IPA assignées filles, le PNDS propose une “chirurgie (clitoris, vulve, vagin)” qui “peut parfois être différée jusqu’à l’âge où l’enfant pourra participer aux questions et décisions concernant son corps.” Pourquoi “parfois”? Pourquoi pas systématiquement? Quel est l’âge en question?
On pratique des opérations de chirurgies esthétiques lourdes sur des enfants en bas âge, dans le plus grand consensus, et en ce malgré leurs conséquences psychiques et physiques, notamment le haut risque de complications mentionnées dans le même document : “Les complications postopératoires des chirurgies génitales sont fréquentes : résultats cosmétiques insatisfaisants, défaillances urétrales (fistule, déhiscence), difficultés mictionnelles (sténose, urétrocele), difficultés sexuelles (la courbure persistante du pénis, les troubles de l’érection) chez le garçon, sténose vaginale chez la fille”.
Le Collectif Intersexes et Allié.e.s interpelle donc le Ministère des solidarités et de la santé, la secrétaire d’État auprès du Premier Ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, la délégation aux droits des femmes du Sénat, la DILCRAH, et le Défenseur des droits, afin que ce protocole soit revu dans le sens du respect de l’intégrité physique et sexuelle des personnes mineures concernées.
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